Alphonse Rousset (encore lui!) débute la notice historique de Crotenay ainsi : « Crotenay est sans contredit l’un des plus anciens villages de notre département ; il existait avant la conquête de la Gaule par Jules César, et son avenir se mêle à celui des grands événements qui signalèrent les invasions des Barbares dans la Séquence. »
Ce qui est certain, c’est que notre village existait au 5ème siècle.
Les preuves !
Début 40, les Chantiers de Jeunesse s’installent dans notre village. Plusieurs bâtiments sont construits « en Tambeau », route de Picarreau, constructions qui bouleversent de nombreuses tombes, il est vrai qu’en cette époque troublée, on avait d’autres soucis ! En 1946, une colo s’installe aux « Grandes Chantres », son directeur est Fred Meyer ! Séduit par le site, il imagine la création d’une « Ecole Nationale de Perfectionnement » pour les enfants en difficulté. Le projet prend vite forme et dès 1949, les travaux commencent. La construction d’un théâtre de plein air (l’amphithéâtre) détruit de nombreuses sépultures. Monsieur Meyer, premier directeur de l’ENP, alerte le professeur suisse Ebersolt qui se déplace et qui constate l’existence d’un très important cimetière d’époque mérovingienne.
Cependant, les fouilles ne débuteront qu’en 1965, sous la direction du docteur Claude Mercier et de son épouse Monique. Dès le décapage de la terre végétale, les archéologues sont surpris par l’ampleur du cimetière. L’extension d’un terrain de sports, en 1969, met en danger ce qui reste des tombes, provoquant une fouille de sauvetage sur un peu plus de 450 inhumations !
Les observations archéologiques peuvent être mises en relation avec les événements historiques connus. Avant 530-550, les sépultures correspondent à des populations romaines et burgondes : elles sont quasiment vides de tout mobilier. De 550 à 600, la présence d’un mobilier important (armes, bijoux, plaques-boucles…) reflète l’influence franque sur le territoire. Vers 650, la disparition du mobilier indique celle de la christianisation de la région.
En résumé, les archéologues estiment que ce funéraire devait compter initialement près de 1000 sépultures, un des plus importants de Franche-Comté.
Qui étaient les burgondes ?
A partir du IV° siècle, les déplacements de populations germaniques, venues de l’Est, s’intensifient et obligent les Romains à trouver des solutions pour contenir et gérer ces arrivées parfois massives.
L’empire Romain pass, donc, des contrats avec des peuples entiers d’origine germanique (Francs ou Burgondes par exemple) et installe ces alliés, appelés fédérés, le long de ses frontières (le limes).
Après avoir franchi le Rhin, au début du V° siècle, les Burgondes s’installent dans la région de Worms. Vers 440, au lendemain de leur écrasement par les Huns, les survivants sont transférés par Rome en Sapaudia (notre région), sans doute contenir la poussée des Alamans implantés dans le Sud de l’Allemagne. C’est ainsi que les Burgondes s’installent dans notre village !
La Société Burgonde
En Sapaudia, les Burgondes sont installés parmi les populations gallo-romaines suivant les règles de l’hospitalité, c’est-à-dire dans les conditions des soldats logés chez l’habitant. Le propriétaire du domaine leur fournit la subsistance et leur laisse le tiers de sa maison. Ainsi, ils peuvent posséder un tiers des esclaves, deux tiers des terres, la moitié des vignes, jardins et bois, et cela aussi bien sur les domaines privés que sur ceux du fisc romain.
Ces charges seront allégées rapidement, dans le but de se concilier le dévouement et l’attachement des populations gallo-romaines. Les mariages mixtes sont autorisés et, rapidement, les Burgondes s’intègrent aux Gallo-Romains dont ils adoptent la langue, les mœurs, les coutumes, et cela d’autant mieux qu’ils sont déjà chrétiens. En fait, ils sont ariens, disciples du prêtre Arius. L’arianisme est une hérésie, condamnée par le Concile de Nicée en 325, qui porte atteinte au dogme de la Trinité, elle ne reconnaît pas Jésus-Christ comme l’égal de Dieu, mais comme sa créature.
Les Francs, eux, ne sont pas ariens, ils abandonnent le paganisme pour se convertir au catholicisme avec leur roi, Clovis, en 496, après la bataille de Tolbiac contre les Alamans. Ils deviennent, alors, les principaux soutiens de Chrétienté en Gaule, reçoivent l’appui de l’Église et contribuent à l’affaiblissement puis à la ruine des Burgondes qui finissent par « rentrer dans le rang », mais trop tard !
La loi Gombette, rédigée en novembre 501, au château d’Ambérieu, par Gondebaud, roi des Burgondes, compte quatre-vingt-neuf articles et porte la signature trente-deux comtes, chefs et primats, burgondes et gallo-romains : le royaume comptant trente-deux cités. Elle confirme la récente distribution des terres, établit l’égalité totale entre les Gallo-Romains et les Burgondes et rend héréditaire le sol donné par le chef à ses meilleurs serviteurs. Elle annonce déjà le système féodal. Loi de tolérance, elle commande le respect des églises catholiques et de leur prêtres.
Pourtant, Gondebaud, l’instigateur de cette loi, a massacré ses trois frères et leurs familles pour rester seul possesseur de l’héritage paternel ! Deux de ses nièces échappent à la tuerie ; l’une, Clotilde, princesse catholique, épousera Clovis, le roi des Francs.
Le Cimetière de Monnet-la-Ville
(5° siècle au milieu du 7°)
Ce cimetière, exploré en urgence de 1965 à 1968 par Claude et Monique Mercier, était déjà connu mais n’avait jamais donné lieu à des recherches. La fouille a intéressé 222 sépultures dont trois incinérations, elle a montré l’existence d’une population burgonde vivant pacifiquement au côté de Gallo-Romains. les archéologues ont mis à jour 17 tombes gallo-romaines autour desquelles, avec un respect évident pour les anciennes sépultures.
Que reste-t-il de ces deux nécropoles ?
Après les fouilles, le terrain a été aplani… et il ne reste plus rien de ces deux nécropoles. Les sépultures étaient en général en bois, du type cercueil, certaines étaient limitées par des dalles ou des murettes, donc rien de bien spectaculaire !
Il reste, cependant, l’énorme travail réalisé par Claude et Monique Mercier et leurs équipe de fouilleurs : rapports, photos, mobilier, étude biologique minutieuse des squelettes … qui reposent dans une quelconque réserve.
A Crotenay, sur la Moraine, la statue d’un rapace, figure qu’on retrouve fréquemment sur les fibules du V° siècle, rappelle le souvenir des premiers habitants de notre village.
Si cet article a suscité votre curiosité, vous pouvez voir des clichés des sépultures les plus intéressantes et admirer le mobilier découvert dans les deux cimetières : fibules (broches), plaques-boucles (attaches de ceinturon), outils, scramasaxes (épées) … au Musée Archéologique de Champagnole. Passionat !
Sources : le Rousset. Mérovingiens dans le Jura (CJP). Les Mérovingiens en Franche-Comté. Les Burgondes (Dictionnaire Historique de la Suisse)
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