La construction de l’église

Comme vous l’avez sûrement remarqué sur la reproduction de l’ancien cadastre de notre commune datant de 1823, à cette époque, l’église se dressait à l’emplacement du cimetière actuel. La lecture attentive des archives communales permet de retracer l’agonie de cette église et la difficile construction de la nouvelle.

Lors de la réunion du Conseil Municipal du 27-05-1807, le Maire Claude-joseph Boutin se penche sur les différentes réparations à réaliser dans la commune :
– le versant du couvert de l’église côté nord demande à être reconstruit promptement et en entier.
– le clocher et le porche au devant demandent des réparations au couvert
– le beffroi du dit clocher a plusieurs parties à réparer : les planche qui divisaient en étages la hauteur sont détruits
– la chapelle, adossée à l’église, de Monsieur de Beaufremont menace ruine
– les murs de l’église ont besoin d’être recrépis
– le presbytère est presque inhabitable par le mauvais état des planchers, croisées et portes et surtout par son couvert.
Le presbytère étant « d’une étendue considérable ayant grange, écurie, bûcher » : le conseil désirerait en diminuer l’étendue lors des réparations.

À cette époque, le presbytère est la maison Schneider-Grandperrin.

Le compte-rendu de la séance du 15-05-1818 nous informe que la commune est obligée de faire refondre la cloche qui est cassée ainsi que des réparations urgentes et nécessaires au clocher.

Dans celui du 12-05-1822, le conseil demande au Préfet l’autorisation de faire une coupe dans les forêts du Rizier et de Nozeroy qui sont de très anciens bois dépérissants : le produit de cette vente sera employé aux réparations urgentes et indispensables de l’église et du presbytère qui tombent en ruine pour prévenir les accidents fâcheux que les offices présentent, faute de réparations. En presque 20 ans, les réparations n’ont donc guère avancé !

Le 17-01-1828, le conseil demande l’autorisation de tirer de la pierre dans la carrière déjà ouverte dans la forêt de la côte de l’Heute appartenant à la commune pour subvenir aux grandes réparations à réaliser tant à l’église qu’au presbytère. La lettre est adressée à Son Excellence Monseigneur le Ministre des Finances.

Le 13-02-1829, le Maire soumet aux Conseillers des plans et devis dressés par Mr Vielle, architecte à Besançon, des réparations et reconstruction à faire à l’église qui est dans un tel état de délabrement tant par le fait de sa charpente dont plusieurs pièces sont rompues et menacent d’entraîner le surplus de la charpente : ce qui serait très dangereux et compromettant pour la sûreté des habitants, ainsi que les murs qui menacent ruine.

Lors de la réunion du 04-09-1829, le Conseil Municipal étudie les plans et devis de Mr Dufour, architecte à Salins, relatif à la construction d’une nouvelle église. Considérant l’état de vestuté et de caducité de l’église actuelle et, après mûr examen de l’emplacement qu’il conviendrait d’adopter pour y construire une nouvelle église, le conseil a reconnu qu’il est nécessaire de la placer dans une position aussi centrale que possible et à l’abri des inconvénients. En conséquence, plusieurs terrains ayant été proposés, il décide à une forte majorité que la place communale, lieu-dit Sur les Rebourgs, est à destinée à recevoir la nouvelle église. Il prie le Maire de poursuivre la mise en adjudication des travaux auprès des autorités supérieures. Le devis d’élève à 19883,93 F.

À titre indicatif, cette somme représente 200 fois le traitement annuel de l’instituteur ou 400 fois celui de l’institutrice.

Le 09-03-1830, le Maire fait observer devant son conseil que la carrière communale se trouve insuffisante et que la pierre est de mauvaise qualité. En conséquence, il prie Madame Jobez de bien vouloir donner la permission d’extraire de la pierre pour la construction de la nouvelle église dans les carrières déjà ouvertes au-dessus de la Motte de Montdaugeon.

Mr Jobez est maître se forges à Syam. Sur le cadastre, aucune carrière ne figure sur Montsaugeon : peut-être s’agit-il tout simplement des ruines du château ! C’était la coutume à cette époque, on utilisait les pierres… déjà toutes taillées.

Le 31-10-1830, le Maire donne connaissance au conseil qu’il est alloué une somme de 3000 F au budget pour la construction de l’église et rappelle « qu’il est instant de pourvoir à l’exécution des travaux ». Il signale que l’état estimatif de la valeur des matériaux de l’ancienne église à démolir, déduction faite des frais de démolition s’élève à 3120 F.

La construction commence…

Le 03-02-1833, le Maire fait observer que les grandes pluies qui sont tombées précédemment s’insinuent dans les murs du clocher et tombent dans l’église ce qui fait mouiller une poutre en sapin qui supporte la tour et la fera pourrir nécessairement si l’on y fait prompte réparation. Les façades côté midi et couchant contenant 53m de mantelée, le conseil demande au Préfet qu’elle soit faite en zinc, promptement, sinon cela entraînerait la ruine totale de l’édifice.

Lors de la séance du 12-10-1834, le Maire présente le rapport du Sieur Perrard sur l’état actuel de l’église. Ce dernier pense que les moyens proposés paraissent insuffisants et que la dépense est inutile, voyant que les dégradations augmentent rapidement et qu’en construisant des murs ou des pilastres comme ils sont indiqués, cela ne rassurerait aucunement la commune du fléau dont elle est menacée.

Il s’agit bien de la nouvelle église ! D’énormes tracas commencent pour la commune.

Le 17-08-1835, le conseil de fabrique* de la paroisse écrit au Sous-Préfet de Poligny en ces termes : »la bienveillance avec laquelle vous avez daigné accueillir notre première demande sur l’affaire qui est l’objet de cette lettre nous encourage de recourir à vous dans le danger qui nous presse. il s’agit de prévenir la chute du clocher de notre église, le péril, ainsi que vous le savez, a été reconnu. La réparation est absolument nulle, les lézardes qui sont des indices du danger ont tellement augmenté que nous ne pouvons nous empêcher de croire que la ruine complète de la tour et de l’église ne soit imminente ».

*Le conseil de fabrique, créé par le décret du 30-12-1809, veillait à l’entretien et la conservation des églises ainsi qu’à l’administration des aumônes.

Le 24-08-1835, dans sa lettre adressée au Sous-Préfet, le conseil Municipal déclare : « Dans l’état actuel de notre église, il nous a paru nécessaire d’interdire le culte provisoirement, ce que nous avons fait battre au son du tambour ».

Le 26-08-1835, Monseigneur l’Evêque de Saint-Claude décide : « Considérant que la tour du clocher menace ruine et qu’on ne peut plus célébrer les Saints Ministères sans exposer la vie des fidèles et de leur pasteur, nous défendons à Monsieur le Curé de Crotenay de faire aucun office religieux dans la dite église et l’autorisons à aller dire la messe dans une paroisse voisine. en attendant cette époque, nous interdisons formellement la dite église ».

Le 01-08-1836, le Maire, Claude-Joseph Boutin, et son conseil examinent les rapports réalisés à plusieurs époques et notamment celui de Mr Daloz, architecte à Saint-Claude, constatant les dégradations et les vices de construction du bonnet de la voûte. Ils déplorent le manque de réponses des sieurs Dufour, architecte et Dormant, entrepreneur à Arbois et supposent que leur silence fait penser que toutes voies de conciliation sont inutiles, pourtant, la commune ne peut rester plus longtemps sans église.

Le 27-07-1836, les deux intéressés décident de reprendre les travaux. Le conseil prend acte mais impose une durée de 3 mois pour les réparations et une garantie de 10 ans. Lors d’une réunion extraordinaire, le Maire fait connaître à ses conseillers la plainte portée par le conseil de fabrique dénonçant l’indifférence du Maire pour la prompte réparation de l’église. Réaction du conseil : « Le Conseil Municipal attristé de ce qu’un homme tel que le sieur Boutin, aussi intègre que zélé dans les fonctions de maire qu’il exerce depuis 1812 est ainsi l’objet des calomnies les plus noires comme des plus vils sarcasmes ne peut qu’exprimer le désir de les voir bientôt cesser et que les auteurs reconnus pour ce qu’ils sont : la lèpre de la société et par là, les ennemis acharnés de l’ordre et de la prospérité ».

Décidément, le ton monte !

Le 24-12-1836, le Maire présente le rapport de Mr Pourchat, architecte à Lons, sur l’état et les dégradations de l’église, à la demande du conseil de fabrique. Ce dernier termine son rapport en assurant que les travaux commencés sont réalisés par de bons ouvriers avec de bons matériaux. Le conseil décide une action devant le tribunal d’Arbois à l’encontre des sieurs Dufour et Dormant pour les faire condamner à démolir et à reconstruire à neuf le clocher. Mr Boutin déclare le même jour : « Si Crotenay est privé depuis 13 mois de pouvoir célébrer la messe c’est la faute du conseil de fabrique et du curé Buffet. par ailleurs, les offices pourraient avoir lieu au presbytère ou dans la salle commune où il serait été plus décent et où les habitants seraient été à l’abri plutôt que de salles dans le bûcher de Madame du Montet ! ».

Mme du Montet est la veuve de Mr François Angélique du Montet de la Colonne, ancien commissaire des guerres dont la tombe est située à l’entrée du cimetière, à gauche en entrant.

Le 04-07-1841, Dufour et Dormant sont condamnés à reconstruire le clocher. Dans la lettre du Préfet du 13-05-1843, les élus se plaignent des sieurs Dufour, Dormant et de l’architecte Lambert, auteur d’un nouveau rapport. Ils dénoncent leur négligence et déclarent que la commune a dépenser beaucoup d’argent et que l’église est toujours en très mauvais état : après un hiver désastreux, la pluie s’insinue dans la tour, y tombe abondamment, les plafonds de la tribune qui ont été remplacés nouvellement ont été mouillés tout pendant l’hiver, les gypses du premier bonnet de la voûte construit récemment tombent, parce que le couvert n’est pas bon.
Mr Lambert répond au Préfet que les dégradations sont loins d’avoir la gravité qu’on a bien voulu leur donner. Il ajoute que l’église, outre qu’elle est fort élevée, est superposée sur le haut d’un monticule et il n’est pas étonnant que placée à cette hauteur, le vent en tourbillonnant autour de la flèche ait introduit par les persiennes un peu d’eau.
Une nouvelle rencontre avec l’architecte permet le remplacement de 10000 tuiles mais la commune refuse de les payer et de supporter le montant des réparations.
À l’occasion du testament de Mme du Montet, une somme de 2000 F est léguée à la commune pour la décoration de l’église.

Le 28-01-1849, le nouveau Maire, Jean-Baptiste David déclare : « Bien qu’une partie de l’église n’ait pas été reconstruite, qu’elle semble suffisemment solide pour ne pas tomber encore, il n’en existe pas moins de nombreuses malfaçons et irrégularités qui paraissent devoir tomber à la charge des héritiers Dufour et Dormant. » Mais nouvelle désillusion ! le Conseil de Préfecture dispense ces derniers à payer les réparations en question et le Sous-Préfet de Poligny ordonne le remboursement de près de 14000 F aux héritiers. La commune intente un nouveau procès qu’elle perd en 1851 !

Mais ce n’est pas fini !

Le 06-05-1853, le Maire attire l’attention du conseil sur l’état de délabrement de l’édifice : la toiture en tuiles est si mauvaise que la neige et la pluie pénètrent de toutes parts sur la voûte, ce qui cause des dommages considérables. De plus, un des bonnets de voûte en bois ne tardera pas à pourrir et les murs du côté de bise étant décrépis laisser passer l’humidité. La toiture de fer blanc de la flèche, dessoudée par endroits laisse filtrer la pluie qui pourrit la charpente et le beffroi. La tour du côté de vent laisse passer également l’humidité, faute de martelage.

Le 07-05-1854, le conseil renouvelle les vœux émis dans sa délibération du 10-05-1853 et demande avec insistance la vente du canton de bois faisant partie du quart en réserve.

Le 06-05-1855, la coupe exceptionnelle ayant été refusée par l’administration des forêts, la commune réitère sa demande et ajoute à tous les problèmes cités précédemment : « Déjà, une des corniches en plâtre est tombée en brisant dans sa chute le banc qui est au-dessous et l’on aurait eu de grands malheurs à déplorer si cet accident était arrivé pendant l’office divin ».

Le 13-05-1857, le conseil ajoute une somme de 1360 F au devis prévu, devis vieux de 3 ans.

Le 16-08-1858, c’est la réception provisoire des travaux. Tout semble correct mais on remarque toujours de l’humidité à la base des murs que l’on signale par lettre au Sous-Préfet !

le 23-04-1860, la commune accueille Monseigneur l’Évêque de Saint-Claude qui officie dans l’église, bien sûr.

Lors de la séance du 17-02-1861, le Maire lit une lettre du Sous-Préfet qui déclare : « L’église a reçu toutes les réparations qu’il était possible d’effectuer. L’établissement est en très bon état et l’humidité dont il est question provient naturellement du sol sur lequel repose d’édifice et ne peut en être détournée. Il n’y a donc pas lieu à faire des réparations ».

Cette lettre marque la fin d’un « galère » qui avait duré plus d’un demi-siècle !