Jean de Watteville

La vie tumultueuse de Jean de Watteville

Jean de Watteville, militaire et ecclésiastique franc-comtois, a joué un rôle important dans l’histoire de la province au XVIIe siècle, durant les guerres d’annexion menées par les armées de Louis XIV en 1668, puis en 1673-1674.

Les Watteville

La lignée des Watteville remonte à une famille noble de Berne, en Suisse. Jacques (1466-1525) est un personnage important de la République de Berne, il est un des premiers membres influents de la Réforme (le protestantisme).

Son fils Jean-Jacques devient le fondateur de la lignée franc-comtoise de Châteauvilain par son mariage avec Rose de Chauvirey, héritière de la seigneurerie. Nicolas, son fils, choisit le catholicisme pour épouser Anne de Joux et se fixe à Châteauvilain. Il est le grand-père de Jean qui naît à Milan le 1er novembre 1618, son père Pierre ayant épousé Guiditta de Brebbia, fille d’un sénateur de Milan.

Un singulier personnage

Jean entre dans la carrière des armes au service de l’Espagne dans le cadre du Cercle de Bourgogne qui regroupe les possessions des Habsbourg héritées de la Maison de Bourgogne dont fait partie la Franche-Comté.

Maître de camp du régiment de Bourgogne, il se distingue au siège de Crémone, ville fortifiée de Lombardie. Suite à une dispute, il tue en duel un gentilhomme de la Maison de la Reine d’Espagne, il déserte et se réfugie à Paris. Là, il entend un sermon sur l’enfer qui le marque fortement et il choisit la voie ecclésiastique. Il est ordonné prêtre et entre dans l’ordre des Capucins (Religieux de l’ordre de Saint-François) puis dans celui des Chartreux (Ordre de Saint-Bruno). Il se retire alors à la Chartreuse de Bonlieu, près des terres de sa famille.

L’ennui, pourtant, ne tarde pas, dans une retraite aussi profonde, Jean décide de s’enfuir. De l’or, un habit de cavalier, des pistolets, une épée lui sont apportés secrètement. Un cheval attend le fugitif. Minuit sonne, c’est l’heure du départ mais, dans le jardin du monastère, son prieur le surprend, Watteville lui tranche la gorge. Après une course effrénée, il s’arrête dans un cabaret isolé où il se fait servir un plantureux repas. Un officier de passage veut partager son repas qui semble suffisant pour deux, la querelle s’échauffe et Jean tire un pistolet de sa ceinture et tue l’inopportun. Menaçant du même sort l’hôtesse et son valet, il termine son repas et fuit vers l’Espagne.

A Perpignan, il séduit la fille de son hôte, lui promet le mariage, l’abandonne. A Madrid, il mène une vie galante sous un nom d’emprunt, Haute-Cour.

Une nuit, se promenant seul dans une rue de la ville, il se querelle avec un gentilhomme, fils d’un Grand d’Espagne, la dispute se termine par un duel …et Watteville tue son adversaire. Il doit fuir à nouveau.

Il séduit alors une jeune fille noble dans le couvent où il se cache, rejoint Lisbonne avec elle et, tous deux, embarquent pour Smyrne (ancien nom de Izmir, ville de Turquie). La jeune femme meurt durant le voyage.

De Smyrne, Jean gagne Constantinople. Il se convertit à la religion musulmane, s’engage dans l’armée des Janissaires du Grand Turc et obtient le poste de Gouverneur de la Morée (Le Péloponnèse en Grèce), il vit comme un pacha, entouré de son harem, durant huit ans.

A la mort de son protecteur, l’Aga des Janissaires devenu Vizir, Watteville se sent menacé par les autres pachas du pays. Se trouvant aux frontières de l’Autriche, avec un corps de 10 000 hommes, il livre son armée au général autrichien qui surveille la région : trahison pas tout à fait gratuite puisqu’il demande en échange l’absolution de son apostasie (son changement de religion).

L’ex-pacha se rend lui-même auprès du Pape Innocent X en 1660, se soumet à la pénitence publique, obtient le pardon de Sa Sainteté qui le nomme à la tête de l’Abbaye de Baume-les-Messieurs, une des plus riches abbayes de Franche-Comté.  

L’Archevêché et le haut-doyenné (administrateur d’une circonscription ecclésiastique) de Besançon étant vacants, le Roi d’Espagne prie le Pape Alexandre VII d’y nommer Jean de Watteville : le Saint-Père trouve qu’il y aurait scandale de choisir un apostat pour un poste si important.

Jean ne rentre en Franche-Comté et ne prend possession de son abbaye qu’en 1664.

Entre 1666 et 1668, devenu Maître des requêtes au Parlement de Dole, il participe au nom des Comtois à des négociations avec les Cantons Suisses pour contrer les ambitions françaises sur la Franche-Comté. Les négociations échouent devant les sommes excessives réclamées par les Cantons. Sans consulter le Parlement, il propose aux Suisses d’admettre notre province comme quatorzième Canton.

A Dole, il présente son projet : on ne peut compter sur l’aide de l’Espagne, la route des Pays-Bas étant coupée puisque les Français sont maîtres de l’Alsace et de la Lorraine. En entrant dans la Confédération, la province serait défendue d’un jour à l’autre par les Cantons tout proches. La décision n’est pas facile à prendre, on hésite …

Les troupes menacent à nouveau nos frontières, l’idée est abandonnée et Watteville prend le parti de Louis XIV et de la France. Il obtient en quinze jours la capitulation de la Comté, ruinée par la Guerre de Trente ans, incapable de résister. Les Français se retirent en mai 1668, après le Traité d’Aix-la-Chapelle qui rend la Franche-Comté à l’Espagne. L’abbé de Baume considéré comme traître se réfugie en France. Son procès a lieu à Bruxelles au printemps 1671 : ses biens sont confisqués au profit du Roi d’Espagne.

La Comté est à nouveau attaquée en 1674, elle ne peut résister aux troupes françaises. Le Traité de Nimègue cède notre province à la France. Jean de Watteville rentre à Baume et reprend possession de tous ses biens et dignités.

Il transforme en partie les bâtiments de l’abbaye, en particulier le logis de l’abbé et la décoration intérieure de l’église. Il mène grande vie, l’abbaye étant en commende, les bénéfices ecclésiastiques sont très importants. C’est à cette époque qu’il fait tailler un escalier au fond de la reculée pour rejoindre Crançot, on l’appellera plus tard les «Echelles de Crançot».  

Watteville meurt le 4 janvier 1702, il est inhumé dans l’église abbatiale où a été édifié un imposant tombeau. Son épitaphe résume en partie sa vie mouvementée, du moins la plus glorieuse …

ITALUS ET BURGUNDUS
IN ARMIS
GALLUS IN ALBIS
IN CURIA RECTUS
PRESBYTER ABBAS
A DEST
« Il a été dans les armées d’Italie et de Bourgogne, en blanc en Gaule, maître des requêtes au Parlement, prêtre et abbé.»

Réalité ou légende

Les historiens sont très partagés sur la vie tumultueuse de Jean de Watteville : certains pensent que les aspects scandaleux de sa vie sont liés à l’intention de dénigrer l’abbé auquel on ne pardonne pas sa trahison à la cause franc-comtoise.

Dans l’histoire de l’Abbaye de Baume-les-Messieurs, on peut lire à son sujet : « Il faut tenir la juste mesure entre ceux qui, voulant réhabiliter l’abbé, ont tendance à le parer de toutes les vertus et ceux qui, au contraire, le noircissent à dessein. »

« Il n’est certainement pas le scélérat qu’on a décrit sinon sa nomination à Baume serait invraisemblable. »

Une preuve, son acte de décès élogieux :

« Illustre et généreux seigneur, messire Jean de Watteville, abbé de Baulme, abbé de Saint-Josse-sur-mer, jadis haut doyen de l’Eglise métropolitaine de Besançon, premier maistre aux requêtes du Souverain Parlement dudit lieu, lequel âgé de quatre vingt huit ans, est mort environ deux heures et demye après minuit et le quatrième jour du mois de janvier 1702, après avoir reçu par le soussigné curé dudit Baulme, tous les sacrements avec une piété profonde et l’édification de tous messieurs les Révérends religieux, et un jugement solide qu’il conservat jusqu’au dernier moment de sa vie, en qui l’on vit tout ce que peut faire la grâce pour l’homme et tout ce que l’homme peut faire par la grâce . »

Il est vrai, et encore de nos jours, qu’un défunt avait toutes les vertus !

Donc, à mon humble avis, tout n’est peut-être pas vrai mais tout ne peut être faux. D’ailleurs, les titres des livres sur ce singulier personnage sont éloquents :
« Jean de Watteville, abbé de Baume : l’histoire et la légende. (Maurice Perrod)
« La vie et les amours de Dom Juan de Watteville, homme d’épée, moine, pacha, ambassadeur » (Jacques Perry)
« Jean de Watteville, l’abbé aux mille visages » (Françoise Desbiez et Jean-Claude Soum)

Alors ? Moi, j’espère tout simplement que vous avez pris plaisir à lire la vie mouvementée de cet incroyable abbé.