Les Prussiens à Crotenay en 1870

Texte de Serge Gay

Joseph Luicin Caseaux et Marie Clémence Lamy son épouse domiciliés à Crotenay eurent 5 enfants parmi lesquels Jean-Baptiste Lupicin Caseaux né le 28 octobre 1844 à Crotenay.

Ce dernier qui avait tiré un mauvais numéro fit son service militaire à Paris en qualité de Dragon dans la cavalerie de ligne des armées du second empire.

En vertu d’un système inauguré sous Louis WVIII, la différence entre le chiffre du contingent et celui des engagés volontaires était comblée au moyen de conscrits. Comme ils étaient plus nombreux que nécessaire, on tirait au ceux qui effectueraient un service de 7 ans.

Jean-Baptiste Lupicin Caseaux était de ceux-ci. Incorporé en 1864, l’année de ses 20 ans, il devait terminer son service en 1871.

Profitant de son séjour dans la capitale, en flânant un jour sur les quais de la Seine, il avait choisi de faire tirer son portrait en tenue de cavalerie par l’un de ces individus bizarres avec leurs drôles d’appareils qui vous immobilisaient pendant d’interminables secondes afin de mieux fixer votre image (la photographie n’en était encore qu’à ses débuts).

À la caserne, il s’était lié d’amitié avec un dragon de son escouade. Ce dernier un beau jour devait s’éclipser sans prévenir personne, pas même son ami. Sa disparition inexplicable le fit considérer comme déserteur…

Le prince Eitel-Frédéric de Prusse en uniforme de capitaine du 1erRégiment de la Garde.

Aux premiers jours d’août 1870, la guerre éclate entre la France et l’Allemagne. Nos conscrits partent au secours de la patrie : plusieurs ne rentreront pas dans leurs foyers. Le 4 septembre, capitulation de Sedan : la France est profondément humiliée ; la Prusse triomphe… l’hiver sera très rigoureux, la neige surabondante dans le Jura ; nombre de pauvres soldats, déguenillés, mal chaussés auront les pieds gelés. En janvier 71, l’armée de Bourbaki est en déroute. Depuis Villerssexel (acte Saône) l’armée de l’Est bat en retraite sur Ponarlier. La division Crémer, après Ornans arrive sans encombre à Villeneuve d’Amont, où malheureusement elle s’arrête (26 janvier). Le surlendemain, la route de Champagnole n’étant plus libre, force lui est de se réfugier à l’Est de Pontarlier, et d’entrer en Suisse, où elle sera désarmée.

Une autre division avait fui plus tôt, ou plus rapidement, sans ordre et sans chefs ; sans arrêt, elle avait atteint Champagnole, et sans direction certaine, elle d’échelonnait sur la route des Foncines et au-delà… Les régiments prussiens n’étaient pas loin !

Les Prussiens arrivent dans les premiers jours de Février. Ils sont près de dix mille.

Venant de Poligny par Plasne, le Pied et Picarreau, une colonne s’est infiltrée sur le plateau, elle déferle sur la corde d’Ain par le col du Dos à l’Âne.

Du clos de la Forge, on voyait sur la neige se dérouler le ruban noir de leurs troupes depuis l’Heute jusqu’aux abords de Crotenay.

Bientôt, ils pénètrent dans le village. Une vingtaine d’hommes débarquent à la ferme de Joseph Lupicin Caseaux, fouillent dans les placard pour trouver de la nourriture, s’installent à table en réclamant du vin blanc. Pendant ce temps, leur chef examine avec insistance une photo représentant le fils de la maison Jean-Baptiste Lupicin, en tenue de dragon de cavalerie qui trône sur le mur de « l’houteau ».

Marie Clémence, la femme de Joseph Lupicin, effrayée de cette intrusion dit en patois à son mari : « Prouvu qu’à trouvin pâ not’Lâr » (Pourvu qu’ils ne trouvent pas notre lard). Mais l’officier qui a tout compris lui dit en français sur un ton rassurant : « Vous en faites pas mère Picin, personne ne touchera rien ici, ni dans le village ! » et sur ces entrefaites, il fait sortir tous ses hommes de la maison Caseaux. À noter qu’aucune exaction ne sera commise pendant le court séjour des Prussiens à Crotenay ; ce qui ne fut pas le cas dans les villages alentour.

On signale aussi dans le Grandvaux, lors du défilé des prussiens, qu’un passant qui s’est écarté au bord de la route s’entend interpellé par une voix qui s’élève des rangs des envahisseurs : Eh ! bonjour Chevassus ! ». Le passant dont c’était bien le nom, sursaute, regarde et continue son chemin.

Une demi-heure plus tard, les enfants debout sur les tables de l’école regardent défiler les « casques à pointes » fusil sur l’épaule, baïonnette au canon.

« Il neige à plein temps ! »

Quelle conclusion tirer de ces épisodes véridiques dont le premier m’a été rapporté par Mr Jacques Cattenoz de Ney, dépendant en ligne directe de la famille Caseaux dont il est question ; le second étant extrait de l’histoire du Grandvaux écrite par l’abbé Luc Maillet-Guy ?

On peut supposer que l’officier prussien ayant identifié le visage de son ami Jean-Baptiste était un espion. Il en est de même de l’homme de troupe qui interpella le nommé Chevassus dans le Grandvaux.

De tous temps, l’espionnage a été le moyen le plus efficace et le moins onéreux pour déposséder l’ennemi de ses secrets.

Il semble bien que la cinquième colonne n’ait pas appartenu seulement à la seconde guerre mondiale et qu’elle avait déjà suscité des vocations en 1870.