L’agriculture d’antan

J’étais en chantier de jeunesse en Haute Savoie. A 18 ans environ, après l’armée, j’ai repris la ferme de mon père. Notre famille louait la ferme derrière le Château, à Crotenay. Après le décès de mon père, j’ai continué avec ma mère. Pour quasiment tous les travaux, nous utilisions des boeufs : pour labourer, pour aller chercher du bois…

 

 

Les lavoirs

En tout, 4 lavoirs dans notre village de Crotenay.

  • un, rue Louis Pasteur
  • un, dit « la fontaine couverte »
  • un vers chez Madame Cassabois (rue Jean de Chalon)
  • un vers chez Monsieur Louis Olivier

Nous lavions le linge à la main au lavoir avec un bout de savon. Pour essorer le linge, les femmes le tordaient avant de le faire sécher. Les lavoirs (fontaines) servaient aussi d’abreuvoirs aux boeufs rentrant des champs.

 

Les céréales

Les semences s’effectuaient au printemps et les récoltes en automne. Nous liions la moisson à la main à l’aide d’une lieuse en fer. Les batteuses (bien différentes de celles d’aujourd’hui) arrivaient en septembre. Après les moissons, nous plantions le blé pour l’année d’après. Tout le monde (ou presque) avait son four à pain pour faire du pain. Alors, après la récolte, nous portions le blé au moulin pour le faire moudre. Comme l’agriculture ne rapportait pas toujours assez, à l’automne, nous travaillions à l’ONF pour planter des sapins, dégager les rues ou couper des sapins pour Noël…

 

 Veaux, vaches et verts pâturages

Avec ma femme, nous avions 7 vaches plus de jeunes veaux que nous nourrissions pour vendre. Nous les menions pâturer dans des coteaux de sable où la nourriture n’était pas toujours très abondante, au contraire. Ces champs s’appelaient « sous l’Heute » et « les laves ». Il y avait aussi « les grands chantres » mais nous n’y allions pas.

Aujourd’hui, les clôtures pour parquer les vaches existent mais, à cette époque, nous gardions nous-mêmes nos vaches, les barrières n’existaient pas.

Le matin, nous partions à 8 heures pour revenir vers 11 heures 30 avec le chien. Quand les boeufs devenaient trop gros, nous les vendions car ils consommaient beaucoup et donc coûtaient trop cher. Après avoir vendu les plus gros, nous achetions des petits qui mangeaient moins.

 

La traite des vaches à la main

Nous mettions environ 1 heure à 2 personnes pour traire 7 vaches. La traite s’effectuait à la main. Aujourd’hui, les machines à traire sont bien plus performantes.

En été, nous menions entre 80 et 100 litres par jour à la fruitière, au chalet.

En hiver, nous le menions à la bouille à dos car nous n’avions que 15 à 20 litres. La différence de litres était due aux vaches taries (vaches que nous ne trayions plus, car elles attendaient un petit veau).

 

Le lait, le chalet et le fromager

Cela fait 25 ans (depuis 1976) que le chalet n’a plus un rôle de fruitière. Aujourd’hui, ce sont des camions de société laitière qui viennent chercher le lait directement chez l’agriculteur qui possède un tank à lait afin de conserver le lait plusieurs jours dans de bonnes conditions.

A cette époque, le fromager s’appelait Monsieur Bouvet. Cet homme fabriquait du beurre, du fromage (comté) et de la crème fraîche. Les fromages partaient en direction de Lons le Saunier, tous les mois, dans la société « Rivoire et Jacquemin ».

Chaque fromage était en fait une meule de 50 kg environ. Nous mettions 5 fromages par bascule.

Le fromager fabriquait deux sortes de beurre : le bon beurre, le beurre de petit lait qui pesait environ 5 kg pièce.

Afin de faire le feu sous les chaudières qui chauffaient le lait, les agriculteurs du village menaient des fagots à la fruitière.

Heureusement pour lui, M. Bouvet travaillait avec sa femme. Pourtant, ensuite, il a continué tout seul. Il se levait à 6 heures du matin. Nous portions le lait à 7 heures en été, et un peu plus tard l’hiver. Il allumait la chaudière pour chauffer le lait puis il l’écrémait. Le soir, les gens venaient chercher du lait. Ensuite, le fromager nettoyait le chalet. Il allait manger le midi et, le soir il revenait après 16 heures pour l’arrivée du lait. Puis, il écrémait à nouveau le lait. Les résidus du lait finissaient en petit lait pour nourrir les cochons des paysans alentour. Ceux-ci venaient chercher le petit lait avec des boeufs attelés de charrettes.

Pour faire cailler le lait, le fromager mettait de la présure (technique encore utilisée lors de la fabrication de yaourts dans nos maisons). Les rondeaux (sorte de moules en bois) servaient à disposer le lait caillé pour faire les fromages. Le lait caillé était pressé afin d’en extraire le petit lait.

En été, la production était d’environ 2 à 3 comtés par jour.

En hiver par contre, celle-ci était moindre avec un comté tous les deux jours.

Quand les fromages commençaient à sécher, il les retournait tous les jours. La rognure (croûte) était enlevée pour donner aux cochons ou certains la gardaient pour leur consommation personnelle.

Exercer le métier de fromager, c’était beaucoup de travail, et malheureusement M. Bouvet n’a que peu profité de sa retraite.

La profession d’agriculteur était aussi très difficile mais avec quelques têtes de bétail, quelques lapins et deux ou trois volailles, nous arrivions tant bien que mal à subvenir aux besoins quotidiens de notre famille. Il est vrai que nous ne vivions pas dans le confort d’aujourd’hui mais nous parvenions à trouver une part de bonheur dans notre vie de tous les jours.

Aujourd’hui, demandez à ces agriculteurs qui se sont « industrialisés » s’ils sont plus heureux que nous. Vous verrez, ils vous répondront que la concurrence est rude, qu’il faut toujours moderniser son équipement afin qu’il ne devienne pas obsolète donc s’enfoncer encore un peu plus dans les dettes.

Aujourd’hui, il faut parfois plusieurs centaines de bêtes pour survivre dans une société devenue une vraie jungle pour cette catégorie socio-professionnelle.

Evidemment, il existe quelques exceptions mais elles sont si rares alors, comment pouvoir en parler si nous n’avons pas d’exemple.

L’agriculture en France est-elle condamnée à disparaître?

 

Propos de Mme et M. PERRIN Ferdinand