Les loups à Crotenay…

Un fléau permanent…, depuis toujours ; il accompagne les craintes des hommes, les suscite, les amplifie, il représente l’adversité, le seigneur honni, le diable.

On le chasse, on le traque, on l’exorcise…

Un fléau bien réel cependant ; de l’avis du sieur Dumontet, célèbre chasseur de loups, les dégâts occasionnés par les loups se montaient chaque année à plus de 60 000 livres pour la province, soit environ deux millions et demi de francs actuels.

Certaines régions du Jura sont plus affectées que d’autres par cette calamité : c’est le premier plateau, les régions d’Alièze, Orgelet, Poligny, La Marre, Picarreau…

Les multiples rapports des médecins qui soignent les terribles blessures illustrent les méfaits causés aux populations : la lettre du subdélégué de Poligny à l’intendant, en septembre 1767 montre l’inquiétude des villageois.

Lette de Gauthier, subdélégué de Poligny, à l’intendant de la Généralité au sujet des loups

A Poligny, le 25 septembre 1767

Monseigneur,

Il y apparaît plusieurs loups sur les monts de Poligny et j’ai commandé quelques habitants de ces cantons pour les traquer.

Il y a environ une quinzaine de jours qu’un de ces loups se porta sur deux jeunes bergers, fils d’un nommé Jean Denis Cottez de Besain qui gardaient des cochons proche du village, en tua un et dévora presque l’autre. Ce même loup ou peut-être un autre entra dans le village de Fay et y mordit cruellement, la fille de la veuve de Pierre Nachon qui était assise et tricotait des bas au devant de la maison de la ferme.

Le 20 de ce mois, le curé de Nez a été attaqué par un autre loup entre Champagnole et Nez. Un homme de Mirebel en a été mordu.

Il y en entra un dans le village de Crotenay qui fut assailli et arrêté par un mâtin ; des batteurs vinrent avec leurs fourches et tuèrent ce loup. On ajoute que M.Dumontet avait tiré un coup de fusil sur ce même loup et avait tué le chien ; d’autres disent qu’on l’a tué exprès dans la crainte que le loup qui l’avait mordu ne fut enragé.

Enfin, on m’a assuré que plusieurs bêtes dans les villages de Besain, Mirebel, Châtillon, Blye et Crançot avaient été mordues de ces loups, qu »il en avait un qui avait tué cinq à six moutons sans en manger un.

Voilà bien, Monseigneur, des évènements fâcheux ; ce qui alarme le plus, c’est la crainte où l’on est que ces loups aient été enragés. Les suites en seraient bien terribles.

Il y a bien longtemps qu’on s’occupe de détruire ou du moins de diminuer l’espèce de ces maudits et dangereux animaux. J’ai eu l’honneur de vous mander l’année dernière que la rétribution de 6 livres 13 sols accordée par les anciennes ordonnances de la province à celui qui aurait tué un loup, était trop modique eu égard à la proportion du prix actuel des choses.

A l’époque de la fixation de cette rétribution, un homme qui avait 6 livres était plus riche que celui qui en aurait 30 aujourd’hui. Je pense que ce ne serait pas trop, d’accorder à celui qui aurait tué ou détruit un loup 24 livres… en coupant en même temps une oreille au loup crainte qu’on ne le représente deux fois. La récompense est le plus sûr moyen de détruire, de diminuer le nombre de ces animaux. On fait des traques avec succès en Allemagne et chez les Suisses mais on ne mène pas les habitants de cette province comme des Allemands…