Les tranchées

Non, il ne s’agit pas de ce gigantesque réseau de boyaux qui courait des Vosges à la mer pendant la guerre 1914/1918 dont on a tant parlé et où les armées des deux camps se sont affrontées, terrées, pendant quatre ans et plus.

 

Il s’agit de tranchées qui quadrillaient notre camp d’aviation pendant la 2ème guerre mondiale. C’était en 1943, je crois, on parlait déjà beaucoup du Maquis. Les Allemands se méfiaient des atterrissages qui pouvaient amener des agents de Londres ou du matériel de guerre. Or, un jour, nous vîmes arriver les gros engins de l’entreprise TODT, organisme allemand chargé de toutes sortes d’opérations de ce genre en France. En quelques jours, des kilomètres de tranchées profondes et larges furent creusées dessinant entre elles de multiples carrés (ou losanges) qui rendaient tout atterrissage impossible.

Dans les nombreuses péripéties de la tragique journée du 5 août 1944, plusieurs gros bovins étaient restés dans l’incendie de la maison Auguste Jacquin devenue maintenant « L’auberge d’Emilie ». Je me souviens avoir entendu ces pauvres bêtes hurler alors que nous étions alignés face au mur de la maison Ayel. Tenus en respect par les militaires armés, nous ne pouvions faire un pas sans risquer d’être abattus.

Or, le lendemain dimanche, un problème parmi beaucoup d’autres se posait. Ces cadavres d’animaux dégageaient déjà une bien mauvaise odeur car il faisait chaud. Le maire Louis Faivre et son adjoint Xavier Letoublon, avec ceux qui étaient là, ont promptement réagi. Il fallait enfouir ces bêtes au plus tôt. Mais cela représentait un gros travail de terrassement à exécuter à la main.

Quelqu’un s’avisa que les tranchées creusées par les Allemands pouvaient être utilisées à cette fin. Ce qui fut fait.

Mon père offrit son concours pour transporter deux de ces bêtes, d’autres cultivateurs également mais je ne me souviens pas de leurs noms. Mon frère et moi sommes donc allés immédiatement atteler nos deux boeufs et préparer les deux voitures. Nous avons hissé les vaches à l’aide de madriers et de plusieurs bras solides. Et nous voilà partis les deux chars « appondus » comme on disait alors.

Des gars nous avaient précédés avec des pelles. Nous avons basculé ces bêtes dans les tranchées toutes prêtes. En quelques minutes, les matériaux sur place nous ont permis de tout recouvrir.

Je me souviens encore avec émotion de cette traversée de la plaine de Chaux au pas lent de nos boeufs et de ces deux bêtes déformées par leur ventre gonflé.

Tout respirait le calme. Le soleil brillait, les alouettes jetaient leurs cris dans le ciel mais nous avions le coeur bien lourd.

 

Gaston GINDRE