Sorcières, diables et bûchers en Franche-Comté

A l’aube de l’époque moderne, un phénomène étrange se développe : la chasse aux sorcières ! Sorte de régression mentale à l’époque des grands esprits comme Copernic, Montesquieu, Montaigne, Cyrano de Bergerac, pour ne citer qu’eux.

 

Jusqu’au Moyen-Age, sorcières, alchimistes, devins et mages vivent en parfait accord avec la population qui utilise leur savoir-faire. La justice préfère punir les hérétiques, jugés beaucoup plus dangereux pour la chrétienté.

 

Les croyances changent suite à la parution en Allemagne d’un ouvrage, le Marteau des sorcières, qui légitime la répression des accusés de sortilèges assimilant la sorcellerie à un crime et l’incluant dans les hérésies. Ce délit se distingue des autres par l’existence d’un pacte censé lier la sorcière à Satan ! Dans toute l’Europe, le XVIe siècle connaît une impressionnante production d’ouvrages démonologiques qui conforte les hommes d’église et d’état dans la necessité de punir ces êtres sataniques !

 

La comté possède un démonologue célèbre, Henri Boguet, Grand Juge de la Terre de Saint-Claude de 1596 à 1616. Il publie, en 1602, son « Discours exécrable des sorciers ». Il aborde en 61 chapitres les problèmes de l’existence des sorcières.

 

Le procès de sorcellerie est toute une mise en scène tragique. A la suite d’une rumeur ou d’une dénonciation, le procureur fiscal chargé d’enquêter en vertu de sa fonction, se rend dans le village de la personne soupçonnée. L’accusée -c’est très souvent une femme- n’est en aucun cas avertie, elle ne connaîtra pas ses détracteurs ; cette manière secrète favorise la délation, les rancoeurs villageoises. Tout est permis pour prouver la culpabilité : « fils contre père, père contre fils, personnes infâmes et autrement reprochables de droit, femmes, celui qui est excommunié, ennemis, enfants, complices ». Nul ne peut s’opposer au témoignage de quiconque. Il ne peut y avoir d’avocat du diable… Véritable règne de l’arbitraire, véritable retour en arrière au niveau des droits de protection acquis par les villageois ! Les témoins ne pouvant être qu’à charge, de plus, il est impensable de venir défendre l’accusée sans être soupçonné d’appartenir à la secte du diable, la malheureuse est arrêtée. Souvent, effrayée par la perspective du bûcher, par la vue des instruments de torture, elle dénonce ses voisins comme membres actifs du sabbat, assemblée nocture présidée par Satan. Le juge émet alors un avis ordonnant soit le non-lieu, rarissime, soit la citation de comparaître ou la prise de corps, son arrestation officielle. Le juge ordonne alors une perquisition afin de vérifier s’il n’y a point quelques « boîtes de graisses, poudres et autres drogues ». Un bâton blanc, un balai posé contre la cheminée sont considérés comme des indices de culpabilité. Il est recommandé d’entendre la suspecte très rapidement car « Satan abandonne son suppôt à l’instant, tellement il est surpris ». Le démonologue s’attache à des détails de la vie quotidienne, permettant de démontrer la mauvaise réputation de l’accusée ou prêche le faux pour savoir le vrai et embrouiller les esprits faibles.

 

L’attitude de la malheureuse est examinée avec attention : l’impossibilité de pleurer, regarder à terre, implorer le ciel sont des signes de culpabilité. Puis le juge va rechercher le stigma diabolicum : ce signe dont le diable a marqué ses sujets pour les reconnaître. L’accusée est mise à nu, rasée et épilée : aucun poil, aucun cheveu ne doivent rester sur son corps, la force de la sorcière résidant dans ses poils. Installée sur un escabeau, les yeux bandés, la femme est livrée aux mains des chirurgiens. Avec de longues aiguilles, ils piquent son corps dans les moindres recoins afin de trouver un endroit insensible démontrant l’empreinte du diable. La suppliciée est soumise à cette torture jusqu’au moment où elle n’aura plus de réactions : « ni pleurs, ni cris, ni sang ».

A quoi ressemble cette marque diabolique? Située sur toutes les parties du corps, principalemnt sur la tête, les jambes, les bras, le dos, mais aussi sous la langue, sur le ventre, « aux parties honteuses », elle ressemble à « une petite marque basanée », à « un grain de millet », à « un grain de poudre de couleur pourpre » ou elle a une forme particulière : dent, patte de souris, de chat, fer à cheval, pied de grenouille.

 

L’accusée est jetée en prison, lieu de terreur, infecte, puant, destiné à briser le corps et l’âme. Pour obtenir des aveux, elle est conduite sous bonne garde dans la chambre des supplices située dans la prison. Dévêtue par le geôlier ou le bourreau, au cas où un moyen protecteur serait glissé dans ses vêtements, on lui passe une robe de bure. Les instruments de torture lui sont présentés. Le juge intervient alors et l’exhorte à avouer, parfois la vue seule de ces machines infernales suffit à provoquer la confession. Si elle résiste, le bourreau lui bande les yeux, l’asperge d’eau bénite pour se protéger du diable et commence ses oeuvres.

En Franche-Comté, on admet sept sortes de supplices, décrits en détail dans les arrêts du Parlement. On utilise, entre autres, le trépied ardent, sorte de tabouret chauffé à blanc sur lequel on force la malheureuse à s’asseoir, le tourment des manottes : le bourreau attache des fers aux poignets pour les entraver et visse progressivement afin d’écraser lentement les os, l’estrapade ; le maître des hautes oeuvres fixe des poids de 25 livres aux pieds de la suppliciée, la hisse au moyen d’une corde passée sous les bras et la laisse retomber brutalement.

Sous de telles horreurs, beaucoup avouent rapidement préférant le bûcher à ces souffrances inutiles, d’autres résistent et maintiennent leurs dires d’innocence. Hurlements, pleurs, évanouissements, folie, rien n’arrête la machine infernale !

 

Suite à l’interrogatoire et la torture, le juge prononce la sentence : libération, bannissement ou mort par le feu. Libérée, la pauvre femme, brisée par ce qu’elle vient de subir, retourne dans son village au milieu de ses… détracteurs ! La bannie perd tous ses droits, quitte sa famille, sa maison, son village pour une vie d’errance et de rejet. Le bûcher ! En raison de l’offense faite à Dieu, il faut demander l’absolution. L’accusée est exposée aux insultes du village, attachée au pilori en signe d’infamie, puis conduite devant l’église, la corde au cou, à genoux et portant un cierge, la coupable doit obtenir le pardon de Dieu devant un public venu très nombreux. Ensuite, elle est menée au bûcher ; le feu de l’enfer est l’instrument de la justice divine, celui du bûcher de la justice des hommes. Après l’exécution, les cendres sont jetées dans une rivière ou au vent. Le décès n’est pas transcrit sur le registre paroissial : il faut effacer tout souvenir de son existence.

 

Au XVe siècle, quelques accusés de sorcellerie ont été brûlés vifs. Au XVIe, un édit ordonne de les étrangler avant et seuls les loups-garous sont jetés dans les flammes vivants. Au XVIIe, tous sont étranglés.

De 1434 à 1667, la Franche-Comté connaît 795 procès de sorcellerie, avec des périodes de fortes persécutions, 1598-1600, 1603-1614, 1627-1632. Sur ces 795 procès répertoriés, 700 indiquent une sentence : 413 condamnations à mort, 105 bannissements et 182 libérations, les deux tiers des condamnés étant des femmes.

 

Pourquoi une telle hargne, un tel acharnement?

En cette période chaotique des guerres de religion, chaque camp veut se protéger de toutes déviances telle la sorcellerie. D’autre part, la personnalité et l’ardeur des juges, Henri Boguet puis Pierre Symard, expliquent les années de grandes persécutions qui suivent, en général, des crises graves : guerres, peste, famines. Peur collective, tension au sein de la collectivité qui trouvent leur résolution avec le supplice de boucs-émissaires.

Pourquoi cette croyance?

Evidemment, toutes ces victimes furent des innocents sacrifiés sur l’autel de l’intolérance, de la peur et de la méconnaissance. Pourtant, la croyance en l’existence de ces suppôts de Satan est le fruits de l’imagination des hommes les plus lettrés de l’époque dont la mentalité rejette le sens de l’impossible. Ils possèdent un sens du possible beaucoup plus vaste que le nôtre, ce que nous octroyons à l’imaginaire fait partie de la réalité !

Ayons une pensée pour tous ces Comtois et toutes ces Comtoises suppliciés, brûlés parce qu’ils n’étaient pas tout à fait comme les autres. Rolande Duvernois possède une épaisse chevelure rousse, Anatholia Sergent et Anthoinette Lespenoy boitent, Huguette Desmoulin dite « la picotée » porte sur son visage les traces de la variole. Grave question qui ne serait pas toujours d’actualité???

Jean-Pierre CHAUVILLE